Aller au contenu

Page:Alain - Minerve ou de la Sagesse, 1939.djvu/252

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

LXXII

LES GRANDS SORCIERS

La méthode des sorciers c’est de nommer une chose afin de la faire exister. Incantation ou prière. C’est une puissante méthode. J’ai entendu un jour un jeune sorcier de quatre ou cinq ans qui disait continuellement et sur le même ton : « De l’eau, maman, de l’eau ». Sans doute il récolta quelques taloches, mais peut-être à la fin de l’eau pour ses expériences de physicien. Cette méthode serait ridicule devant un rocher ; il faut creuser alors, non parler. Mais presque tous moissonnent sur les hommes, non sur les choses. Tout ce qui est avocat, ministre, médecin, prêtre, professeur, vit de persuader. L’enfant vit de persuader. Au lieu de faire, il fait faire. L’eau du robinet, longtemps convoitée, dépend non de lois physiques, mais du consentement de la cuisinière ; il faut donc prier. Et comme tout l’espoir de la nourrice est de changer le désir du nourrisson en lui montrant et nommant mille autres choses, ainsi toute la puissance du nourrisson est de répéter le même mot, jusqu’à prouver qu’il ne renoncera point. On trouve par le monde un grand nombre de nourrissons barbus qui n’ont point d’autre méthode que de répéter toujours la même prière ; méthode infaillible si on la pousse au delà

— 248 —