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Page:Alain - Minerve ou de la Sagesse, 1939.djvu/253

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LES GRANDS SORCIERS

du moment critique, qui est celui où la nourrice se fâche pour tout de bon. Cette colère est signe non point qu’il faut renoncer, mais au contraire qu’il faut persévérer. Là commence le dernier quart d’heure. Le niais expose une bonne fois sa demande, avec de fortes raisons à l’appui ; et puis il s’applique à n’y plus penser. Mais qui pensera à ce qu’il désire, si lui-même n’y pense point ? Le sorcier s’y prend mieux, répétant toujours la même chose, et sans jamais donner de raisons ; qui argumente s’égare et égare l’autre, car c’est jeter l’esprit dans d’autres pensées. « De l’eau, maman, de l’eau. »

Les sociologues trouvent partout des faiseurs de pluie, et admirent ces procédés imitatifs qu’ils employaient, comme de secouer des branches mouillées, ou de courir en se couvrant d’un amas de plumes, pour figurer les nuages. D’où l’on peut inventer quelque théorie physique en ces cervelles. Mais je vois plutôt qu’ils disaient obstinément « Pluie ». Ils le disaient par gestes et imitation, ce qui est encore aujourd’hui la plus frappante manière de dire. En quoi ils ne faisaient autre chose qu’appliquer la méthode de toute enfance et de presque toute maturité ; et, d’après une constante expérience, ils se gardaient par-dessus tout de renoncer, se croyant tout près du dernier quart d’heure ; et l’événement leur donnait raison, puisque la pluie finit toujours par arriver. Telle est notre physique naturelle, que nous apprenons de nos mamans et de nos nourrices. L’autre méthode, qui est celle du laboureur, du terrassier, du plombier,

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