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Page:Alain - Minerve ou de la Sagesse, 1939.djvu/259

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ADAPTATION

un grand signe, et non trompeur, qui nous annonce que tout va bien ; c’est la joie. Ce ton de bonheur, cette assurance de vie se prennent par les signes et par l’imitation des signes. Et voici toute la différence ; au lieu de me cacher et de fuir devant le soleil, je bombe le torse comme un boxeur et je lui dis : « Frappe ». Au vrai, ce n’est pas si simple. Cette sorte d’attaque contre l’attaque consiste sans doute en une activité redoublée de milliers de cellules, soutenues et nourries à point par toute la mécanique du corps. Sans raideur, sans étranglement, sans crainte aucune. Ne voit-on pas que les gymnastes apprennent à tomber ? Et c’est aussi toute la différence de celui qui a peur de l’eau froide et en vérité est déjà malade avant d’y risquer seulement un pied, à cet athlète du bain qui se jette au froid et l’attaque le premier. Au reste, frappez du poing sur une noix ; si vous avez peur, c’est la noix qui vaincra.

Mais voici qu’il tombe d’autres flèches, inépuisable pluie, musique sur les toits, ruisseaux. Musique. C’est déjà beaucoup d’entendre cette liquide musique, grand murmure et notes rondes, soudain, comme des perles. C’est prendre en joie la chose. Comment ne pas penser aussi à ces prairies brûlées et à cette soif de la terre ? Du lait, me disais-je, c’est du lait qui tombe. Je ne sais pas du tout comment je me dois disposer pour me mettre en toit, et tout mon être à l’abri de lui-même. Mais, par la joie, je sens que je rejette cette pluie, que je maintiens mon être en cet écoulement. Comme au rebours

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