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Page:Alain - Minerve ou de la Sagesse, 1939.djvu/280

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MINERVE OU DE LA SAGESSE

la mise en train à zéro. Le petit mot : « Je ferai » a perdu des empires. Le futur n’a de sens qu’à la pointe de l’outil. Prendre une résolution n’est rien ; c’est l’outil qu’il faut prendre. La pensée suit. Réfléchissez à ceci que la pensée ne peut nullement diriger une action qui n’est pas commencée. On ne conçoit pas Boucicaut fondant le Bon Marché ; il l’a fait ; c’est une tout autre méthode. Et, en dépit d’un fort préjugé, les entreprises bien conçues ne se font jamais. Il n’y a qu’à savoir comment l’avion a été inventé. Ces exemples éclairent les deux chapitres. Les appliquant au second, je dis qu’il est tout à fait inutile de réfléchir à ce qu’on va faire, tant qu’on n’a pas commencé. C’est inventer un classeur avant de savoir quels papiers on y mettra. Ou bien, c’est vouloir savoir ce que l’on dira avant de le dire. Et ce dernier exemple est le meilleur, parce qu’il choque. Notre pensée n’est pas ainsi faite qu’elle puisse marcher la première ; qui pense ses actions n’agit jamais. Le grimpeur de l’Himalaya peut aussi nous instruire ; car s’il reste à regarder la montagne, il ne saura jamais par où il peut passer. « C’est pour savoir par où je passerai que je marche. » Gœthe terminera ce discours : « Accepter comme une loi ce que le génie de la raison humaine souffle à l’oreille de chaque nouveau-né, c’est-à-dire soumettre l’action à l’épreuve de la pensée et la pensée à l’épreuve de l’action ».