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Page:Alain - Minerve ou de la Sagesse, 1939.djvu/282

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MINERVE OU DE LA SAGESSE

tive. Et cela est surtout à remarquer dans l’enfant, qui n’est libre de presque rien, et qui peut se rendre libre de presque tout en devançant la contrainte. Le bon travailleur est en avance sur tout. D’après ce modèle d’écolier, bien connu des maîtres, on peut souvent refuser valeur à l’obéissance forcée, et exiger, chose étrange et neuve, que toutes les actions aient le mouvement de la libre invention, tout en se conformant à la règle. Et, selon mon opinion, on peut hâter l’âge où il est possible de dispenser l’enfant d’un devoir, pourvu qu’il ait pris librement, et sans humeur, la résolution de ne pas le faire. C’est combattre la traînante paresse, qui est notre pire ennemi.

Bien partir n’est pas le tout. Il faut en toutes les entreprises une obstination héroïque. Quand il s’agit d’apprendre le violon, l’équitation ou l’escrime, chacun comprend qu’il faut recommencer bien des fois, et ne jamais céder à la tentation de se croire mal doué, ce qui est un genre de modestie très perfide. Or le courage de ceux qui apprennent ces choses devrait faire rougir ceux qui manquent de patience dans l’apprentissage qu’ils ont choisi. Et ce qui importe, quand l’apprenti croit qu’il manque de bonheur ou d’adresse, c’est que le maître lui rappelle et lui prouve qu’il manque seulement de courage. Ce reproche pique comme il faut. L’éducation est ce précieux moment où la lutte contre l’obstacle extérieur peut toujours être changée en une lutte contre soi. Il est rare que l’homme cède à lui-même. C’est ainsi que je formerais l’enfant à chercher et à aimer la difficulté.