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Page:Alain - Minerve ou de la Sagesse, 1939.djvu/287

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LXXXIII

PRUDENCE D’ESPRIT

Dans ces discussions sur le spiritisme, on attend toujours que l’expérience décide, et elle ne décide jamais. C’est que l’expérience ne pense point pour nous. Les Romains, peuple fort et à certains égards très raisonnable, étaient pris quelquefois de peurs mystiques, et voyaient d’étonnants prodiges dans leurs murs mêmes, et dans ces temples si sagement bâtis. L’expérience était la même pour eux que pour nous, et ils auraient retrouvé l’ordinaire dans le prodigieux, comme nous faisons, s’ils l’avaient voulu. Le Tibre s’arrête, disaient-ils ; aussitôt le tumulte courait, et l’horreur sacrée. Simplement le fleuve sortait de son lit ; cela était le signe de choses à venir très bien déterminées, comme ruptures de ponts, écroulements, pestilences ; cela était la suite d’événements antérieurs, comme pluies abondantes dans les hautes vallées. Les statues se couvraient de sueur ; c’était une rosée comme on peut en observer par temps chaud sur une carafe d’eau fraîche. Mais de ce que des gouttes d’eau coulaient sur les statues, on pouvait aussi penser que ces simulacres suaient d’angoisse ou pleuraient de chagrin, comme font les hommes. Virgile pensait ainsi, et Tacite de même, qui n’étaient pourtant point des sots. Jugez

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