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Page:Alain - Minerve ou de la Sagesse, 1939.djvu/288

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MINERVE OU DE LA SAGESSE

alors du bas peuple, et de ce qu’il croyait voir et entendre ; au vrai l’agitation les jetait tous hors du bon sens ; les chiens hurlaient par une sympathie naturelle, et c’était un signe de plus. D’où s’est formé d’abord chez quelques sages, et a passé heureusement dans les ignorants eux-mêmes, ce préjugé contre toute croyance, qui fait que nous résistons d’abord à l’expérience, surtout émouvante, surtout effrayante. Et cela est scandaleux au jugement des croyants ; car ils demandent, au nom de la vérité, pourquoi l’on résiste. Le première réponse, et la meilleure peut-être, est celle-ci : « Je résiste par précaution, justement parce que l’expérience est émouvante, parce que l’expérience est effrayante, parce que l’expérience me presse et me jette hors de moi-même ; enfin parce que, dans cet état de tumulte intime, je suis assuré de juger mal ».

Cela dit, et précautions prises, tout mon château fort étant fermé et gardé, visage de pierre, je puis examiner plus attentivement ce genre de folie qui m’allait prendre. Cette méthode de juger n’est point nouvelle, qui suppose d’abord en tout événement quelque cause à la ressemblance de l’homme. Très ancienne au contraire ; et encore aujourd’hui c’est la première qui s’offre, comme on voit que l’enfant qui écoute la montre suppose d’abord une petite bête ; et remarquez que cette supposition n’explique rien ; car pourquoi voit-on remuer de petites bêtes et des grosses ? Problème bien plus compliqué à résoudre que le problème du mouvement dans une montre. Mais l’homme ne va point d’abord du simple

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