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Page:Alain - Minerve ou de la Sagesse, 1939.djvu/299

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LXXXVII

MÉCANIQUE CIVILISATION

J’admire fort notre civilisation. Je le dis sans rire. Il est merveilleux de penser à cette multitude d’actions barbares qui sont comme impossibles à un homme moyen de chez nous. Bousculer une vieille mendiante, se moquer d’un aveugle, tromper un enfant, laisser un malade à la rue, écraser froidement un chien ou un chat, ce sont des choses que l’homme moyen ne peut pas faire. De même, il ne supporterait pas la torture ni la roue, non seulement en spectacle, mais en idée. Nous avons des hôpitaux, des soupes, des asiles de nuit, des gouttes de lait. Tout cela va de soi. La bonté va de soi. Nul ne discute ici ; nul ne demande pourquoi. C’est quelque chose d’être gardé de faire le mal par un usage aussi fort que celui qui nous impose la cravate et le pantalon. Ce que j’appelle civilisation, c’est ce qui va de soi dans nos vertus. Et c’est une sorte de politesse, je n’ose dire plus étendue, plus sérieuse que la politesse, car la politesse va fort loin et je n’en vois pas les limites ; la plus grande charité est souvent cachée dans la politesse. La politesse est un hommage au semblable, une reconnaissance du semblable, sans enquête, au seul aspect. C’est supposer dans l’autre l’esprit et le cœur, toute la délicatesse possible, et en tenir compte,

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