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Page:Alain - Minerve ou de la Sagesse, 1939.djvu/304

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MINERVE OU DE LA SAGESSE

humanité morte. Nous naissons nus. Nous recommençons. Où que soit l’enfant qui régnera par la musique ou par la poésie, je sais qu’il recommencera ; je sais que son chant sera vierge et neuf comme la mer. Et nos pensées aussi, vierges et neuves elles seront, naïves comme en Homère ou en Lucrèce, ou bien elles ne seront rien.

Ce qui ennuie, c’est cette vie à l’étage, où tout est distribué par tuyaux et fils ; et cette pensée de quatrième étage, sorbonnique, où l’Homère, le Platon et la nature même coulent du robinet. Ce sont des idées d’idées, comme la hache de fer est copiée sur une copie de copie, et enfin sur la hache de pierre. Mais au premier âge convient la première invention. Le corps se contente de la hache ; c’est qu’il a toujours les mêmes arbres à couper. Mais l’esprit ne peut penser par l’idée ; il lui faut la chose nue, la chose qui n’est pas arrangée pour lui plaire. L’idée greffée sur l’idée est de courte vie. Une chanson ne naît point d’une chanson corrigée. Une peinture ne naît point d’autres peintures, par une retouche au nez ou au menton. De vieillir, d’accumuler, rien ne naît. Non, mais de toucher l’univers sans âge. Jeunesse le sait et le sent. Jeunesse commence et recommence. Par cette situation vieille comme le monde, nous verrons du neuf.

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