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Page:Alain - Minerve ou de la Sagesse, 1939.djvu/44

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MINERVE OU DE LA SAGESSE

croit le contraire ; car je suis porté à nier tout l’être de mon ennemi. Toute cette misérable monnaie du croire apparaît vile, comme elle était, dès qu’on la compte devant l’arbitre. Le sceptique parle donc comme il faut, et se moque comme il faut. Si la pensée est quelque chose, la pensée n’est certainement pas une complaisance à soi ; encore plus évidemment la pensée juste n’est pas une complaisance à soi.

Ainsi ce qui plaît et ce qui est vraisemblable n’est encore qu’un possible, et même suspect. La preuve de l’existence se réduit à l’expérience, et aucun raisonnement ne dispense de l’expérience ; tel est le principe que la libre-pensée, si bien nommée, n’a cessé de pousser et de soutenir dans le monde des hommes. Par exemple, un miracle, ne dites jamais que vous n’y croyez pas parce qu’il vous semble impossible ; dites seulement que vous n’y croyez pas parce que vous ne l’avez pas constaté ; et j’ajoute que le doute véritable est aussi fort à l’égard d’une chose que l’on croit possible, par exemple le grand serpent de mer, ou une escroquerie d’un homme riche et considéré. Hume se plaît à raconter que le roi de Siam, en ce temps-là, entendant conter que l’eau pouvait quelquefois devenir solide et porter un éléphant, ne crut rien de ce récit, qu’il jugeait impossible et absurde. Cette remarque fait rire ; mais il faudrait la suivre ; elle mène fort loin. Toutes les fois que devant un récit ou une rumeur vous discutez du possible et de l’impossible, vous êtes à côté de la question. Et même,