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Page:Alain - Minerve ou de la Sagesse, 1939.djvu/45

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NE PAS CROIRE CE QUI PLAÎT

si l’on fait attention au piège des passions et au penchant naturel du croire, c’est surtout devant ce qui nous est vraisemblable, devant ce que nous avons attendu et annoncé, c’est alors qu’il faut de tout son vouloir se mettre et se remettre dans le doute, exiger le fait, et encore le secouer et le tourmenter comme on fait devant les juges. Ainsi l’incrédulité est une grande chose, et justement honorée.

Mais il y a un autre côté de l’incrédulité, et qui en est le beau. Par exemple, il est bien sot de croire plutôt celui qui vous offre vingt pour cent, que celui qui se borne à quatre. Mais aussi pourquoi le croit-on, sinon parce qu’on croit qu’avoir cinq fois plus d’argent est absolument cinq fois meilleur ? L’incrédulité ici n’a pas à vaincre l’absence de preuve, car l’absence n’est rien. Elle a à vaincre quelque chose de positif, et qui est glorieusement vraisemblable ; car l’encens de la gloire commence aussitôt à monter vers le millionnaire de loterie, ou seulement vers la plus brillante et la plus puissante automobile. Cette valeur de richesse, tout le monde la crie, et l’incrédule a bien du mal à se tenir seulement d’aplomb, si le diable le tente de ce côté-là. D’où je vois que, pour être incrédule, il faut croire à autre chose qui n’a pas de preuve, et premièrement à ceci, que bien penser a de l’importance. Car le diable (et j’appelle diable ce qui se fait croire) vous dira au contraire qu’il ne sert à rien de penser bien si l’on est pauvre, et que le riche pense bien sans se donner de peine ; il nous en exposera les preuves, brillantes, éclatantes, qui sont partout