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Page:Alain - Minerve ou de la Sagesse, 1939.djvu/51

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L’INTUITION

Le principal avantage que j’y vois est cet avenir de confiance en nous-mêmes, qui nous préserve de l’irrésolution. Car il faut savoir que l’irrésolution est sans remède. Soit que l’on raisonne, soit que l’on cherche des analogues dans l’expérience, ce travail est sans fin, et il est nécessairement éclairé par le doute ; c’est pourquoi aussi une longue délibération présage un refus. Nous sommes merveilleusement doués pour fabriquer des arguments ; nous plaidons pour ou contre ; cela nous fatigue. Au lieu que nous saurons gré toute notre vie à celui qui nous a plu de premier mouvement ; et ce capital de bonne humeur est plus précieux sans doute que toutes les garanties. Ajoutons l’économie de temps. Je comprends qu’un César des affaires donne à son choix la forme de décrets et s’interdise même d’y revenir. Pour ce qui est des affaires refusées et des gens refusés, tout est oublié ; nul ne peut dire ce qui serait arrivé par un autre choix ; on n’y pense guère ; on peut toujours se dire, car c’est évident, qu’on aurait mal travaillé avec un homme qui, de première impression, aurait déplu.

Mais suivons l’affaire positive, l’affaire choisie, toujours portée par un homme choisi. Les grands chefs qui se fient à leurs propres décisions, et qui se jurent, en quelque sorte, de ne s’être point trompés, ont, ce me semble, une grande vertu pour réaliser les hommes dont ils se servent. Car il est merveilleux de voir comme nous sommes incertains de nous-mêmes et déplacés aisément jusque dans notre intérieur par les changements d’opinion