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Page:Alain - Minerve ou de la Sagesse, 1939.djvu/55

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DISCIPLINER L’IMAGINATION

sées au lieu de les changer. Mais Descartes, tout à fait de style Louis XIII en cela, prétendait vivre selon la grandeur, au lieu de chercher sa propre raison en son voisin, encore moins en son médecin. Descartes doit être compris jusqu’au fond. Car le devoir de gouverner ses pensées est à ses yeux l’esprit même et le devoir envers l’esprit. Toute sa métaphysique a pour objet l’esprit en chacun, qu’il sait bien nommer l’esprit divin. Il s’agit donc de gouverner royalement ses pensées, et ce n’est point seulement le jeu d’un subtil analyseur, c’est la méthode même du géomètre et du physicien. Ce qu’il y a de difficile dans ces pensées formelles, dans ces théorèmes, c’est de garder les notions contre toute intrusion de l’expérience. Car le carré est seulement par mon décret ; en lui-même il n’est pas carré, il n’est rien. Ce qui est en soi, l’objet que je me donne, n’est jamais qu’objet. Et sous ce rapport les géomètres se persuadent quelquefois qu’ils peuvent comprendre quelque chose d’après l’objet dessiné et la formule écrite ; or, il n’en est rien. L’imagination n’est qu’un secours pour l’entendement, et encore à condition qu’elle soit gouvernée. Il faut donc rejeter l’intuition, qui jamais n’a de sens que par l’ordre et par le rappel des notions voulues. Là-dessus l’homme n’a pas le droit de composer, son esprit lui est confié. Cette fière méthode est un peu trop oubliée, et l’on voit beaucoup de malades imaginaires, j’entends qui sont réellement malades, mais par l’effet d’une imagination non disciplinée. Je conçois qu’un rêve

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