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Page:Alain - Minerve ou de la Sagesse, 1939.djvu/62

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MINERVE OU DE LA SAGESSE

On ne voit point pourquoi un homme serait moins intelligent qu’un autre. Un plus un, qui fait deux, cela n’est pas difficile à comprendre ; pour les grands nombres c’est impossible, si l’on ne revient à un plus un. Aussi ne sert-il point de se mettre en colère selon la grandeur du nombre, comme un petit chien qui aboie à l’éléphant. Au contraire il faut s’apaiser d’abord, et diviser, ce qui est ajourner. Or il arrive que, plus le problème est compliqué, moins on se croit en droit d’ajourner. La mort, Dieu, l’âme, la justice, comment ajourner ? Grande alarme, qui fait bouillir le sang. Et toujours quelque Pascal secoue la porte. La fable du Sphinx est belle. Le Sphinx attendait l’homme, et lui proposait quelque énigme ; qui ne devinait pas était dévoré. L’homme est à lui-même ce monstre. Il ne se donne point de délai. Le fou offre une image grossie de l’homme naïf ; le fou se précipite à juger. Ce mélange de vertige, de peur, et de colère est souvent sensible dans les nœuds du visage et dans le son de la voix. Quand le fanatique pense, ne vous mettez pas en travers.

Socrate ajournait. Montaigne ajournait. Descartes ajournait. En Descartes la méthode enfin se montre ; l’ordre paraît. « Avant de connaître telle chose, je dois connaître d’abord telle autre chose, plus simple ». Et lui-même a dit aussi que c’est souvent notre grand amour pour la vérité qui fait que nous la manquons. Il faut donc se garder de l’emportement ; c’est se donner par étude une sorte d’indifférence. Analyser est toute

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