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Page:Alain - Minerve ou de la Sagesse, 1939.djvu/91

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XXV

DÉCOUVRIR L’ÊTRE DE CHACUN

Il y a une connaissance des hommes qui ne sert point, parce qu’elle ne saisit rien ; c’est la malicieuse connaissance de ce qui manque, de ce qui n’est point ; c’est saisir le vide. La ruse se fait des chemins dans ce vide autour des hommes ; mais jamais un homme ne rencontre, ne frotte, ne heurte cette ruse, ombre qui fait la chasse aux ombres. Car ce n’est pas par ce qui lui manque que l’homme agit et avance, c’est par son être positif. Qui s’accroche à cela, il tient autre chose qu’un fantôme. Tel est l’ami vrai ; tel est l’employé fidèle. Ces liens ne se rompent jamais ; ils font les unions et associations. Les malicieux s’étonnent de voir que celui qui s’élève, qui s’étend, ou qui s’enrichit, entraîne avec lui toujours celui qui a cru en lui.

Cette idée positive que l’on se fait d’un homme est proprement une idée ; car nul n’est tout à fait un homme. Quand on se dit à soi-même : « Je suis pourtant un homme », cela veut dire qu’on ne l’est point assez. Si l’on est jamais aidé au monde, c’est par quelque autre qui regarde à cet être positif, qui n’est jamais assez lui-même. Souvent l’homme se sent emporté par l’ambition de ses amis. Lui, il est modeste et n’espère pas beaucoup. Mais eux pré-

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