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Page:Alain - Onze Chapitres sur Platon, 1928.djvu/151

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mons cette idée que l’homme est juste, non par les occasions et le rapport extérieur, mais par la propre justice qu’il porte en lui, par l’harmonie de ses diverses puissances. L’action extérieure, et disons politique, est toujours ambiguë. On dit qu’il n’est pas juste de prendre le bien d’autrui. Mais quoi ? Prendre l’arme d’un fou, ou d’un enfant, n’est-ce pas être juste ? Briser la porte du voisin afin d’éteindre le feu, n’est-ce pas être juste ! Bref il n’y a point de règle de justice, qu’intérieure, et tout vol se règle entre désir, colère, et raison. Ne juge point les autres, et juge-toi d’après ton intime politique. Ici est posé l’individu en son indépendance, comme jamais peut-être on ne l’a posé. Car nous n’osons jamais recevoir en tout son sens la maxime fameuse : « Nul n’est méchant volontairement. » Nous savons bien qu’elle implique que l’homme libre ne fait point de faute. Au reste, il n’y a peut-être pas un moraliste qui se prive tout à fait de juger son voisin. Or, si nous suivons Platon, toute notre morale se trouve bornée à nous-mêmes, et au secret de notre conscience. Ce qui est injuste,