Page:Alain - Onze Chapitres sur Platon, 1928.djvu/155

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 153 —

au regard de la sagesse ? Quant à la colère, source de l’action, ou disons mieux, disons quant à l’emportement, n’y aurait-il point un excès de sagesse, qui serait un refus de vivre selon la nature reçue, et, par une conséquence naturelle, un refus de vivre comme les autres hommes et avec eux ? Un oubli de ce monde de colère et de désir ? Une absence aux hommes ? La justice alors supposerait et même exigerait que l’on soit homme et les pieds en terre, et que l’on mène guerre et procès comme tous font, et que l’on soit juge à son tour ; qu’enfin l’on comprenne aussi l’inférieure et humble animalité, hors de soi et en soi. Ne le doit-on pas ? C’est ici un peu trop de subtilité sans doute, qui toutefois fait bien saisir que l’équilibre entre le ventre et le cœur, et même la tête, est autre chose que tempérance et courage, autre chose, plus difficile et plus beau, autant qu’il serait plus difficile et plus beau de vivre que de mourir. Cette pensée s’accorde assez à notre rustique Socrate, et non moins à ce Platon devenu vieux qui retourne en Sicile, et médite, selon une formule fameuse depuis, plutôt sur la vie