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Page:Alain - Onze Chapitres sur Platon, 1928.djvu/158

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gamment élevés, car les impudents désirs sont maîtres des rues. Il est vrai aussi que les sages sont en prison ; mais je ne les vois pas. N’en est-il pas de même pour l’âme injuste ? Car elle aussi a mis la sagesse au cachot, et l’y a même oubliée. Une telle âme n’a jamais connu ni seulement soupçonné le bonheur du sage. Aussi, cette sorte de fureur qui la tient, il se peut qu’elle la nomme bonheur, et même qu’elle nie de bonne foi qu’il y ait un autre bonheur. Mais c’est trop dire sans doute. Pas plus dans l’âme tyrannique que dans l’état tyrannique il n’y a permission de penser. L’homme désir et l’homme colère sont des hommes sans tête. Ils ne pensent guère ; assurément ils ne pensent pas qu’ils pensent. En un sens, ils ont conscience d’être ce qu’ils sont ; mais conscience trouble, à demi endormie, oublieuse, et comme coupée en tronçons. La colère se juge-t-elle et sait-elle qu’elle est colère ? Le désir, qui court et se jette, sait-il qu’il court et se jette ? Un homme riche, et qui vit en riche, se juge-t-il ? La guerre se juge-t-elle elle-même ? Toutes ces vies sont emportées et mécaniques. Elles vi-