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Page:Alain - Onze Chapitres sur Platon, 1928.djvu/169

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Ainsi nous n’avons affaire qu’au maintenant, et il passe. Notre vie passée nous est tout autant inconnue que ces vies antérieures le sont aux âmes après qu’elles ont bu au fleuve Oubli. Et il est vrai que nous avons vécu des milliers de vies, et fait des milliers de choix, dont à peine nous sentons comme derrière nous la présence et ensemble l’absence, et l’inexplicable poids. Rien de nous n’est passé. Le déjà fait nous presse et court devant nous. Quelqu’étrange que soit cette condition, c’est bien la nôtre. « Il n’est plus temps », c’est le mot des drames ; et, si nous pouvions remonter d’instant en instant, à chaque instant ce même mot serait à dire : « Il n’est plus temps. » En vain donc nous essaierions de remonter. S’il y a un remède, et nous vivons de savoir qu’il y en a un, ce remède est dans le savoir même de ces choses, mais selon l’essence, qui n’est point passée, qui ne passe point. Par exemple, ce long entretien de La République, si vous le tenez de nouveau avec vous-mêmes, en vous-mêmes, Socrate, éternel en vous, et Platon, éternel en vous, dominant tous deux