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Page:Alain - Onze Chapitres sur Platon, 1928.djvu/25

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le mot dit si bien, méchéant. Par cette même prudence, qui, disait-il, lui conseillait de faire retraite en combattant, au lieu de tourner le dos, Socrate n’enviait point le tyran, il le plaignait. Et remarquez comme cette idée est vacillante en nous tous, quoiqu’elle ne veuille point mourir. Tout parle contre elle ; et, comme dit Socrate, on n’entend que cela. Or je crois que Platon vint à penser qu’on pouvait prouver ces affirmations incroyables de Socrate, du jour où il connut que Socrate en était assuré ; et cela, comme il est de règle, ne parut tout à fait que par la mort que chacun connaît, et qu’heureusement il n’est pas utile de raconter. Dans le Phédon et dans le Criton apparaissent cette certitude retirée en elle-même, cette fermeté sans emportement, cette volonté d’obéir, et ce mépris aussi de l’obéissance, cet esprit enfin qui n’a pas obéi pour se sauver, et qui n’obéit que pour se perdre. Se perdre, se sauver, ces mots à partir de là eurent un sens nouveau. Socrate mort apparut tout entier. Platon n’était plus seulement lui-même, il portait en lui son contraire, et longues années s’entretint en secret