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Page:Alain - Onze Chapitres sur Platon, 1928.djvu/28

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terre jusqu’au cou, et, disant cette fois ce qu’on ne dit jamais, détruit à ras de terre toute vérité, tout savoir et toute bonne foi. Aucun résumé ne dispense de lire ce Thééthète, qui semble ne pas conclure, mais qui fait voir le plus franc combat de l’esprit contre lui-même, et aussi la plus éclatante victoire, et la plus positive. Et cette manière, qui est propre à Platon, de montrer ce qui est jeu, de cacher ce qui est pensée, enfin d’avancer fort loin sans que le lecteur s’en doute, et d’éclairer soudain des précipices de profondeur, cela même est tellement mesuré sur notre puissance d’attention, sur nos courts efforts, sur cette timidité et même cette pudeur qui nous détourne de tout dire, qu’il est certainement impossible de comprendre Platon par procureur ; toutefois, peut-être par procureur on peut commencer à l’aimer. Sachez donc qu’une fois, en cette courte et belle histoire de la pensée occidentale, une fois seulement Protagoras a tout dit ; une fois il a retourné comme un sac le système sans espérance et sans amour. Une fois et une seule fois, à cette extrême pointe