Aller au contenu

Page:Alain - Onze Chapitres sur Platon, 1928.djvu/29

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 27 —

de l’audace, l’esprit s’est retrouvé par son contraire, et s’est soutenu et sauvé sans aucun secours extérieur, sans hypothèse aucune, sans pieux mensonge, sans enchantement, par une lumineuse présence à lui-même. Mais c’est assez annoncer.

La science, c’est la sensation. Voilà la thèse, ou plutôt l’antithèse, puisqu’elle se développe en intrépides négations. Connaître c’est éprouver ; c’est se trouver à la rencontre de la chose qui nous aborde et de nous qui l’abordons. Mélange. Mais ici paraît Héraclite, le poète de l’insaisissable. Mélange de deux tourbillons, car tout change, tout vieillit, tout s’écoule, et tu ne te laves pas deux fois dans le même fleuve, Ainsi, toi qui connais, tu es fleuve ; tu ne reviens jamais, tu fuis ; tu n’es jamais ceci ; tu passes à cela ; et l’objet de même, autre fleuve ; ce qu’il allait être, déjà il ne l’est plus ; et le soleil lui-même s’éteint. Il est bien plaisant de vouloir que le mélange de ces deux flux soit un seul moment ceci ou cela ; que couleur soit ceci ou cela, que chaleur soit ceci ou cela. Toutes nos propositions sont fausses, parce qu’elles ne peu-