Aller au contenu

Page:Alain - Onze Chapitres sur Platon, 1928.djvu/70

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 68 —

possible des formes incorruptibles, ici, dans cette partie de l’expérience qui est le plus expérience, c’est encore l’idée qui porte le monde. Car la diversité sensible prend aussitôt la forme du deux, ou comme on dit, de la dyade, et aussitôt ce deux s’enfuit d’une fuite qui n’est plus Héraclitéenne, mais qui est mieux, puisqu’elle fait comparaître tout l’univers des degrés, et toute la qualité possible dans une qualité. Ici l’idée même du changement, fixé par son contraire, la mesure. Héraclite gardait la raison droite comme témoin du changement, mais hors du changement. Cet esprit défait ; il ne fait rien. Platon nous laisse ici entrevoir les formes de l’esprit dans le tissu même de l’expérience, et créant à proprement parler l’apparence du monde, selon la belle parole d’Anaxagore citée dans le Phédon : « Au commencement tout était ensemble ; mais vint l’esprit, qui mit tout en ordre. »

Bref, que serait le monde sans les idées ? Non seulement il ne serait pas compris ; mais c’est trop peu dire ; il ne serait rien ; il n’apparaîtrait même pas. En ce flux indéfini,