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Page:Alain - Onze Chapitres sur Platon, 1928.djvu/95

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mier et catégorique. C’est voir ou entrevoir, ou tout au moins soupçonner l’esprit, source des idées, et cette manière de prouver qu’il tire toute de soi. Celui-là seul qui s’est tourné par là connaît les preuves comme preuves. Et qu’est-ce donc que Protagoras ? Ce n’est point un ignorant ; nous supposerons même qu’il sait autant qu’homme du monde. Seulement il ne se sait point esprit. Les yeux toujours tournés vers ce royaume inférieur qui lui est promis, il considère seulement en quoi les idées s’appliquent à l’expérience ; il glisse aisément à prendre pour une hypothèse seulement commode ce qui s’accorde avec la loi de l’esprit. Ayant laissé se perdre ce côté du vrai, il perd aussi l’autre, disant qu’il n’y a que des idées utiles ou nuisibles, non point des idées vraies ou fausses. Et, puisqu’il ne faut point dire au peuple qu’il n’y a ni vrai ni faux, parce qu’il n’y aurait plus alors ni juste ni injuste, le voilà qui s’accommode à la fois à la moyenne et à la basse opinion, trahissant deux fois sa propre pensée dans le moindre de ses discours. C’est sauver son corps et perdre son