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Page:Alain - Propos, tome 2, 1920.djvu/118

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LES PROPOS D’ALAIN

bientôt pareille à un crible ; mais que dire des dynamos ? Ce sont des merveilles de montage, qui enferment des milliers de journées, et qui, par une tension trop forte et un débit mal modéré, sont soudain ramenées à la ferraille. Après cela le courant circule sur des fils de cuivre de poteau en poteau, au milieu des sapins, par dessus les rocs et les abîmes. La voie ferrée perce la montagne, s’accroche à des murs de rocher, passe sur des ponts à vertige ; le voyageur admire des travaux cyclopéens. Il méprise les lacets de la vieille route, les tout petits villages, et les sentiers dans les bruyères ; ce sont des jouets.

Souvent, à la descente, lorsque l’ombre grimpe à son tour, on voit au tournant du sentier, près d’un tout petit champ, un homme chargé de pommes de terre ou de fourrage ; ce sont des pays où il faut porter la récolte à dos d’homme, et où l’on remonte la terre dans des paniers à chaque retour des saisons. Ce contraste entre le travail utile et le travail inutile est si frappant qu’il fait rire les sots. « Comment, en notre siècle, en sont-ils encore à porter sur leur dos, pendant une heure de descente, la nourriture de leur vache ? » Le fait est qu’il est miraculeux que ces hommes et ces femmes ne soient pas tous hôteliers ou hôtelières, chambrières ou porteurs de malles, mécaniciens ou marchandes de cartes postales, et que tous ne s’enrichissent pas à traîner les touristes, au lieu de produire le pain, le fromage et la viande. Mais réfléchissons ; il est pourtant évident qu’en leur portant notre argent, nous ne leur portons aucune vraie richesse, et, bien mieux, que nous jetons des richesses au gouffre. Tous ces comptes effrayants se feront ; ils se font déjà. Et remarquez, don Juan, que Monsieur Dimanche ne rit plus.

LXXXIV

Nous souffrirons tous, plus ou moins, de cette grève de mineurs. Mais aussi nous participons tous à l’injustice qu’ils repoussent. Au premier moment, le débat paraît être entre l’actionnaire et le mineur. Or si l’on se représente l’actionnaire passant son hiver à Nice, son été en Norvège, l’automne à des chasses, le printemps à des fêtes mondaines, pendant que le mineur, à quelques centaines de mètres sous la terre, et quelquefois même sous la mer, produit péniblement