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Page:Alain - Propos, tome 2, 1920.djvu/123

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LES PROPOS D’ALAIN

Le luxe est nuisible encore autrement en ce qu’il aggrave l’inégalité et crée des classes trop différentes. D’où une méprise trop commune sur le rôle du capital. Si le capital n’était qu’une réserve destinée à permettre de grandes entreprises et un travail centralisé, le capital ne cesserait pas d’être à tous, et le riche ne serait que le gérant du patrimoine commun. Un milliardaire, s’il vit simplement, finira par rendre ce qu’il a gagné, et même le rend à chaque instant. Au reste son travail propre, qui est d’organiser, de surveiller, de coordonner, est un travail nécessaire, et l’ouvrier le sent bien. Mais le luxe crée une autre espèce d’hommes, vaniteuse, ignorante, étrangère, odieuse. Et ces passions inévitables excitent les masses contre toute richesse, d’où un effort qui porte à faux.

Un impôt sur le revenu porte à faux. Pensons bien à cela. L’épargne d’un seul enrichit tout le monde ; les entreprises d’un seul, si elles développent la production des choses utiles, enrichissent tout le monde. C’est la folle dépense qui nous ruine. L’impôt devrait donc viser toujours la folle dépense, et l’effort démocratique ne devrait pas ici se laisser détourner un seul instant. Impôt sur le cube d’air par tête d’habitant ; impôt sur l’ornement, sur la parure, sur les voitures de luxe, sur les domestiques ; impôt sur les places de luxe dans les trains, sur la vitesse ; impôt sur les primeurs ; impôt sur les parcs et jardins, d’après leur superficie par tête d’habitant. Au lieu que si un homme riche défriche des terres, assèche des marais, perfectionne les procédés de culture, ses revenus sont utiles à tous, ses dépenses nous enrichissent tous ; tout impôt sur ces revenus est réellement sur le bien des pauvres. Vous demandez une lourde contribution à un grand fabricant de chaussures ; c’est un impôt sur la chaussure. Vous êtes moins sévère pour un petit fabricant de parures. Résultat, j’ai un chapeau à plumes et des chaussures percées.

LXXXVIII

La grande propriété dévore la petite. Cette affirmation se retrouve dans la plupart des discours socialistes. Ils nous font voir tous les petits propriétaires et tous les petits patrons, expropriés par les puis-