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Page:Alain - Propos, tome 2, 1920.djvu/127

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LES PROPOS D’ALAIN

Il n’y a pas longtemps, on entendait la chanson de l’employeur, disant qu’il était maître chez lui, et qu’il fermerait son usine s’il le jugeait bon, et qu’il repousserait tout arbitre et tout arbitrage, attendu que « charbonnier est maître chez lui ». Cela ne l’empêchait pas, l’instant d’après, de se mettre sous la protection des gendarmes, invoquant ainsi la société pour sa défense privée, mais refusant à la société tout droit sur ses affaires privées. Contradiction ridicule ; si vous voulez être absolument libre, alors défendez-vous par vos propres moyens.

Les cheminots, j’entends les plus avancés, nous tiennent maintenant le même langage. Ils disent : nous travaillerons si nous voulons. Les voilà donc qui effacent leur devoir ; mais comment peuvent-ils ensuite invoquer leur droit ? Un droit suppose l’état social, c’est-à-dire quelque autre droit corrélatif que l’on respecte. Qui ne respecte rien n’a aucun droit. Et dire qu’il faut chercher un équilibre entre ces droits, en ayant égard à l’ensemble, c’est formuler le plus pur Socialisme. En sorte que présentement les réactionnaires sont socialistes sans s’en douter, et les socialistes sont anarchistes ; ce qui n’empêche pas que les uns et les autres se contredisent, les patrons en voulant conserver pour eux cette liberté absolue qu’ils refusent, avec raison, aux ouvriers ; et les ouvriers aussi, lorsque, rejetant tout pacte social, et déclarant la guerre, ils s’étonnent de n’être pas traités selon le droit de la paix. Comment l’Arbitre jugera-t-il, s’il ne débrouille pas toutes ces notions-là ?

XCI

Fenêtres fermées, et loin de ce monde imparfait, nous discutions, le socialiste et moi, sur la cité idéale. Nous faisions le compte de ce que pourraient gagner en heures de repos ceux qui maintenant travaillent toute la journée.

D’abord nous ferions travailler tout le monde ; et, par travail, nous entendons travail manuel à heures fixes, car les autres travaux ne sont pas de vrais travaux. On peut bien compter qu’à ce régime les travailleurs gagneront une heure sur dix.

Autre chose. Pendant que les oisifs travailleront, ils cesseront de consommer de précieuses heures du travail d’autrui en divertisse-