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Page:Alain - Propos, tome 2, 1920.djvu/176

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LES PROPOS D’ALAIN

comme éliminées. Quand les Martiens, dans la fiction de Wells, font marcher le rayon ardent et la fumée noire, ils sont bien au-dessus du courage ; et l’espèce humaine est alors bien au-dessous de la peur. La bataille de Tsoushima fait apparaître des rapports de ce genre. La guerre du Maroc aussi ; car c’est notre artillerie qui décide.

Il faut donc examiner froidement si l’abondance des munitions et la justesse du tir ne sont pas l’essentiel en toute bataille, et juger les milices à ce point de vue. Car qu’est-ce qu’un milicien ? C’est un homme qui va droit au but, et qui s’exerce à tuer. La guerre n’est qu’un moyen pour lui ; il ne l’orne point parce qu’il ne l’aime point. Ce réalisme vaincra.

CXXIX

Nous avons une armée solide, et de bons professeurs de guerre. Mais, si j’avais à choisir, j’aimerais mieux qu’ils aient un peu moins de science et un peu plus de confiance. Autant que je les connais par des extraits et des citations, je les imagine un peu tristes, un peu accablés par la puissance de l’adversaire. Or je crois qu’il ne faut jamais se battre pour l’honneur avec l’idée qu’on sera vaincu ; il faut se battre pour la victoire. En prenant notre armée comme elle est, trop rongée par l’administration, trop séparée de la vraie vie et des vrais devoirs, je crois que nous serions vainqueurs.

En 1870 nous l’étions presque ; avec un peu d’audace et de mouvement nous l’étions deux fois le 6 août. Or il est connu que nos réserves n’étaient pas organisées, que notre artillerie était très inférieure a celle de l’ennemi, et enfin que la force morale nous manquait naturellement parce que nous étions le peuple tyran, contre des peuples las d’être esclaves.

Tout est retourné maintenant ; nous nous gouvernons nous-mêmes ; nous voulons agir avec les autres nations selon le droit ; nous en avons donné mille preuves. Nous avons une alliée qui tiendrait les mers, et qui assurerait le ravitaillement. Nous avons des réserves organisées, encadrées, armées ; toute la nation, après quinze jours de tâtonnement et d’attente, ferait la guerre. Nos armées sont pour le moins égales à celles de l’ennemi. Enfin le combat serait pour la justice, contre un