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Page:Alain - Propos, tome 2, 1920.djvu/186

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LES PROPOS D’ALAIN

justice ; notre justice armée doit dominer ces rapports oscillants, qui transportent du vainqueur au vaincu la haine, et du vaincu au vainqueur l’orgueil tyran. Car, par ces idées dont le parcours est connu, aucun problème n’avance ; chacun des termes pose l’autre ; on n’en peut sortir que par le haut, en dominant l’un et l’autre. Que chaque combattant s’élève donc à la fonction de juge, car la République est maintenant confiée à chacun. Plus que jamais, toutes les finesses étant pour longtemps déjouées, l’État ressemblera aux citoyens. Si chaque peuple a son esprit et sa noblesse, que la Russie parle aux races, que l’Angleterre pense à sa puissance, et que nous autres nous pensions à l’Humanité, à la Justice, au Droit ; ce sont proprement nos dieux du foyer ; et les héros Belges sont Français par là. Ainsi notre patrie s’étendra par nos armes plus loin que par les traités. Cet esprit libérateur a déjà paru dans nos proclamations ; il y restera intact et pur si chacun le conserve en soi-même en rectifiant toujours les jugements de passion selon le mètre invariable. Et voilà une occupation pour les heures du matin, trop chargées souvent de mauvais rêves.

CXXXVII

Chacun est guerrier ; oui, même la plus faible femme. Non tant par les actions que par l’inébranlable volonté. L’ennemi se hâte ; il voudrait faire entendre son canon jusqu’à la capitale après avoir meurtri les provinces du Nord ; cela pour terminer la guerre, non point certes par l’extermination des hommes de chez nous, mais par l’ascendant pris, la terreur imprimée.

Or, la terreur est comme un élément en molécules ; chacun contribue, s’il s’abandonne, à la répandre, à l’entretenir. Le plus faible a ce privilège, si l’on ose dire, de détenir dans son cœur et dans son ventre un peu de la terreur commune. Absolument comme dans un choléra ou une peste chacun est comptable de la santé commune. Et l’on se préserve de choléra et de peste par des précautions matérielles. Chose étrange, les hommes ont appris plus lentement encore leur pouvoir sur leurs passions, que leur pouvoir sur leurs maladies. Et ce n’est pas une idée assez répandue que celle-ci, c’est que, par le geste, par l’attitude, par l’affirmation, par une bonne conduite des