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Page:Alain - Propos, tome 2, 1920.djvu/187

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LES PROPOS D’ALAIN

arguments, par une lutte contre les mauvais jeux d’imagination, on triomphe des sentiments violents plus aisément qu’on ne croit. Mais il n’y a rien de plus dangereux que si l’on se laisse aller aux émotions, sans rectifier, sans gouverner.

Une des idées les plus anciennes parmi les hommes, c’est que les émotions nous viennent d’une source mystérieuse. Idée assez explicable puisque mes émotions commencent par m’envahir tout entier, avant que j’en connaisse les causes. Pourquoi résolu à un moment, hésitant à l’autre ? Cette force qui se joue en moi, c’est moi et ce n’est pas moi. Le mal vient de moi et je n’y peux rien. Ce mal d’esprit est ce qui a fait croire à la magie. Et chacun, pour se délivrer de la tristesse ou du désespoir, commence par implorer quelque chose, et souvent son semblable, par cette expérience que l’humeur d’autrui fait beaucoup sur la nôtre. Et cela du moins n’est point faux, si l’on cherche un vrai ami plutôt qu’une sibylle. Mais ce que ton ami peut sur toi, tu le peux sur toi-même ; et ce que ton ami fait pour toi, tu peux le faire pour lui. Veillons donc sur notre jugement d’abord, et que personne ne cherche sa force hors de lui.

L’espérance n’est point hors de nous, dans ce qui arrive. Car, si cela était, on manquerait donc d’espérance dans le moment qu’il en faudrait ? Jeu de dupe, si l’on croit cela. L’espérance est de volonté, portée par volonté, à bras tendus. Que chacun de ceux qui attendent rassemble donc toutes ses forces comme une armée. Ne regardez point si les gouvernants tiennent bon, mais soutenez-les et portez-les. Leur force est de nous tous.

CXXXVIII

Le style des nouvelles officielles n’est pas encore ce que je voudrais ; non assez dépouillé ; non assez nu. Trop de précautions, trop de souci d’expliquer et d’arranger. Non qu’ils veuillent tromper ; heureusement nous n’en sommes plus là. Mais ceux qui écrivent ces choses s’appliquent à se tromper eux-mêmes, comme cet homme d’importance qui, à l’heure où les Allemands occupaient la Belgique comme par une inondation d’hommes, écrivait qu’ils n avaient encore connu que des échecs.