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Page:Alain - Propos, tome 2, 1920.djvu/203

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LES PROPOS D’ALAIN

le sache, sans qu’on les attende, et surtout sans qu’on les sollicite. Par exemple, connaissant de réputation un vitrail ancien, ils vont se planter juste en face, et regardent au travers, ce qui est aussi sot qu’un singe qui flaire aux deux bouts d’une lorgnette. La beauté d’un vitrail est dans l’ensemble ; on le goûte par le coin de l’œil, ou par le reflet sur d’autres choses. Celui qui est attentif à quelque méditation, pieuse ou sérieuse comme on voudra, c’est celui-là qui éprouve la beauté de la cathédrale autour de lui. Et, du dehors, c’est le passant qui la voit comme il faut, parce qu’il ne la regarde pas. De même la musique n’est pas faite pour être écoutée. De même encore si dans une salle à manger j’ai quelque beau tableau de mer, avec cet éclat des nuages sur l’eau, je ne puis pas faire le compte du repos, de la sérénité, de la prospérité que j’en recevrai. Comme d’un bon fauteuil ou d’un bon lit.

Après cela, rien n’empêche un homme du métier de chercher, par exemple en musique, des combinaisons nouvelles ; et rien n’empêche que je les étudie, que je m’habitue à les reconnaître dans un mélange de sons. C’est justement ce qui m’est arrivé, pour certaines productions fort compliquées, et j’en ai tiré des plaisirs d’esprit, sans que peut-être il s’y trouve de la beauté à proprement parler. Presque toute la musique, aujourd’hui, est une marquetterie de ce genre, qui ne plaît point sans initiation. Par analogie je conclus que les peintres peuvent bien aussi jouer avec les couleurs et avec les formes, et plaire à des initiés, sans aucun rapport avec l’art et la beauté véritables. On en rit communément, parce que cela ne ressemble à rien ; mais un bel ornement peut aussi ne ressembler à rien. Et la musique ne ressemble jamais à rien ; c’est ce qui fait que la mystification y est plus facile.

CLI

J’ai vu hier une collection de dessins d’enfants, pris dans les écoles primaires. Mélange de très bon et de très mauvais, qui vérifiait ce que je dis assez souvent des arts académiques. Ces dessins d’écoliers sont de trois espèces, dessins d’imitation, dessins libres, dessins d’ornement.

Les dessins libres ne valent rien ; ce sont des barbouillarges. L’enfant