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Page:Alain - Propos, tome 2, 1920.djvu/206

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LES PROPOS D’ALAIN

Mais nos pédants d’archéologues y perdaient leurs définitions. Ils admirent une belle cathédrale, et ils admirent une vieille maison, mais non pas l’union des deux. S’ils le pouvaient, ils mettraient la cathédrale en vitrine dans une salle de musée, et la vieille maison dans une autre salle. Faute de mieux, ils nettoient la cathédrale jusqu’au pied ; ils voudraient une grande plaine de macadam tout autour.

L’erreur de Viollet-le-Duc, qui a si bien manqué la façade de Saint-Ouen, c’est qu’il a construit sur papier. Cette façade n’est pas laide à vue de touriste, ou ramassée sur un papier à la hauteur des yeux. Mais regardez-la d’en bas, comme il faudrait si vous étiez serré dans une petite rue, alors les parties hautes ne remplissent pas le ciel ; tout le bas, qui s’enfonce à pic dans la terre, est inhumain comme un mur de forteresse. Abordez maintenant la Cathédrale par la rue du Bac, et vous éprouverez la puissance des pierres.

CLIII

Un poète, un historien et un architecte parlaient entre eux du style gothique, et se demandaient pourquoi les voûtes ogivales, les trèfles et les rosaces ont poussé sur notre sol sans qu’on y pensât, à peu près comme poussent les fleurs des champs. Le poète ne voyait pas, dans ces formes de pierre, autre chose qu’un langage, et comme un poème de pierre, qui exprimait merveilleusement, selon lui, les mystères d’une âme religieuse : « Entrez, disait-il, dans une cathédrale, par une porte latérale ; levez les yeux vers la voûte de la petite nef, et marchez vers la grande ; dès que les plus hauts arceaux se montreront dans l’entrecoupement des autres, vous aurez une révélation de la grandeur, bien plus saisissante que les froids calculs et les théologies bavardes. Joignez à ce mouvement irrésistible de votre corps le silence, la sonorité, la lumière crépusculaire des vitraux et les ombres fantastiques, alors, dans un court moment, vous craindrez, vous aimerez, vous prierez et vous chanterez. Voilà le vrai missel, où chacun lit sans épeler. »

« Mais non, dit l’historien. C’est vous qui faites le poème ; la cathédrale n’est qu’une prose ambitieuse. Il faut toujours que les villes rivalisent entre elles : c’est pourquoi chacune d’elles voulut faire plus