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Page:Alain - Propos, tome 2, 1920.djvu/222

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LES PROPOS D’ALAIN

l’espérance se jette sur ces fausses promesses, et les dévore. Chacun veut du gui à son chapeau.

J’ai entendu conter qu’en certain pays de Normandie, il y a, vers le temps des Rois, une espèce de fête aux flambeaux, où l’on brûle avec des torches de foin la mousse des pommiers. Non sans chanter, danser, et banqueter. S’il s’agissait seulement de détruire cette mousse par le feu, personne ne s’y mettrait. L’esprit tout seul ne croit guère à ses œuvres froides. Quel rapport entre cette méchante mousse et le beau cidre ? On comprend la chose, peut-être, mais on n’y croit point, il faut que la Sagesse ait un air de folie. Bref, comme dit Auguste Comte, nous sommes fétichistes, et nous le serons toujours.

Au temps où les épis se forment, je voudrais une fête des coquelicots, des bleuets et des nielles ; ce serait aussi une fête des enfants. Ils apporteraient par brassées toutes ces fleurs brillantes, qu’ils auraient cueillies le long des sillons. Pourquoi des enfants ? Parce que leurs petits pieds trouveraient mieux leur chemin à travers les blés et les seigles. Mais il faudrait vouloir qu’ils arrachent le pied, au lieu de couper la fleur. Faudrait-il inventer quelque légende ? Non, sans doute. La force persuasive est dans la fête publique elle-même ; et tout usage s’établit vite et se conserve, s’il est lié seulement à une joie collective. Ainsi, quand on a saisi les ressorts de la religion, rien n’empêche d’instituer une religion véritable, sans erreur aucune, sans mensonge, et fondée seulement sur le culte, sans aucun Dieu. Une des forces de la guerre, c’est qu’elle a ses fêtes et ses emblêmes. La Paix n’a que des raisons ; ce n’est pas assez.

CLXV

Qu’allez-vous chercher au cimetière ? Il n’y a rien là que de vieux vêtements et de vieux étuis. Les morts sont ailleurs ; les uns au Paradis, les autres au Purgatoire, d’autres dans l’Enfer. Où cela ? Sur la terre, autour de vous.

Tous les hommes qui vivent maintenant sont des hommes qui revivent ; tous sont sortis d’une vieille enveloppe, avec un corps rajeuni ; tous traînent des souvenirs pour le moins aussi anciens que