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Page:Alain - Propos, tome 2, 1920.djvu/80

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LES PROPOS D’ALAIN

pas trop. Chacun retient ses paroles et ses gestes, et par cela même ses colères. La bonne humeur est sur les visages, et bientôt dans les cœurs. Ce que l’on regretterait d’avoir dit, on ne pense même pas à le dire. On se montre à son avantage devant un homme qui ne vous connaît guère ; et cet effort nous rend souvent plus juste pour les autres, et pour nous-même. On n’attend rien d’un inconnu, on est tout content du peu qu’il donne. J’ai observé que les étrangers sont aimables, parce qu’ils ne savent dire que des politesses, sans pointes ; de là vient que quelques-uns se plaisent en pays étranger ; ils n’ont point occasion d’y être méchants, et ils y sont plus contents d’eux-mêmes. En dehors même des conversations, quelle amitié, quelle société facile sur ce trottoir ! Un vieillard, un enfant, même un chien y circulent à l’aise ; au contraire, dans la rue, les cochers s’injurient ; chacun est pressé par des voyageurs qui ne se voient point ; le mécanisme n’est pas compliqué, mais il grince déjà. La paix sociale résultera de rapports directs, de mélanges d’intérêts, d’échanges directs, non par organisations, comme syndicats et corps constitués, qui sont mécanismes, mais au contraire par unités de voisinage, ni trop grandes ni trop petites. Le Fédéralisme par régions est le vrai. »

LIV

« Tout bon raisonnement offense » ; ainsi parle Stendhal. Parole un peu trop forte, et qui, elle-même, offense, donnant ainsi en quatre mots la règle et l’exemple. Comprendre cela, c’est comprendre la force catholique, que les prêtres rassemblent et conduisent, mais qui est dans les passions. Une passion cède à une passion plus forte ; cela est réglé ; rien n’est plus simple. Un homme menace ; si vous lui faites peur il ne menace plus ; il n’est pas moins ingénu quand il se soumet. Les tyrans ont la bonne manière, qui est de toujours forcer sans jamais raisonner. Ceux qui ont à maintenir une discipline, chefs d’atelier, maîtres d’école ou officiers, arrivent souvent à cette conclusion saisissante qu’une brute sévère est souvent plus aimée qu’un homme qui veut avoir raison. Selon le jeu naturel des passions, la foudre est adorée. Observez bien pourquoi on aime communément un pouvoir fort, vous comprendrez que les hommes sont toujours