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Page:Alain - Propos, tome 2, 1920.djvu/92

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LES PROPOS D’ALAIN

disaient que la désobéissance était un devoir semblaient modérés. Je vous connais, vous auriez protesté violemment et vous seriez parti, comme faisaient les préfets autrefois quand le sermon devenait séditieux.

Vous seriez parti. Ce qui arriva dans les séances qui suivirent, pendant plus d’une année, vous aurait pourtant intéressé. Quelques tranquilles bourgeois qui étaient là prirent la parole à leur tour, et lancèrent, avec le même air raisonnable, des paroles qu’on n’attendait point, mais que l’on écouta tout de même, car on respirait, dans cette petite salle, la liberté toute pure. L’un expliquait pourquoi, selon lui, un soldat, hier ouvrier, devait pourtant faire feu contre les grévistes, s’il en recevait l’ordre. Un autre essayait de démontrer qu’il faut toujours, dès qu’il y a une société, une discipline, une loi, une force armée. La discussion fut longue ; les mêmes choses furent dites vingt fois. Quelques anarchistes bouillants firent comme vous auriez fait ; ils s’en allèrent ouvrir à deux pas de là des discussions d’où les bourgeois étaient bannis. D’autres restèrent, écoutèrent, discutèrent. J’entends encore un homme de trente ans, à forte encolure et à la tête carrée, qui disait, après un an de discussion : « j’ai été anarchiste ; je ne le suis plus ; tout nier, tout supprimer, c’est tout de même trop simple ; il faut travailler dans ce qui est, si l’on veut changer quelque chose. » Vous, mon cher Radical, vous l’auriez mis tout de suite en prison. Et je le connais ; c’est une tête de fer ; la prison l’aurait rendu fanatique, par un raisonnement assez juste, c’est que si vous frappez au lieu de discuter, c’est que j’ai raison.

LXIII

Il existe des Ligues pour la Paix. Elles se rappellent à moi de temps en temps par une foule de petits papiers qui disent toujours la même chose. Elles ont des présidents, des trésoriers, des secrétaires, des comités, des cours publics, des conférences, des banquets. Ces ligues existent pour elles ; leur activité ne va pas au delà ; elles grandissent, se nourrissent, et dorment. Dans les temps de crise, jamais vous ne voyez un député se lever et parler en leur nom. Les gouvernants préparent tranquillement et ouvertement la guerre ; les prophètes de