Aller au contenu

Page:Alain - Quatre-vingt-un chapitres sur l'esprit et les passions, 1921.djvu/175

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
169
DE DIEU, DE L’ESPÉRANCE ET DE LA CHARITÉ

foi marche la première. Deux proverbes en témoignent qui disent : « Aide-toi, le ciel t’aidera », et « La fortune aime les audacieux ». Les doctrines de la grâce et de la prière n’ont pu méconnaître l’ordre humain ; il a bien fallu subordonner le droit de grâce à la volonté du pécheur. Le Dieu objet est trop lourd.

Il faut plus de fermeté, de confiance en soi et de suite pour aimer les hommes. Je dis aimer par préjugé, non d’amitié. Malgré passions et désordre ; malgré l’ordre de société qui est souvent pire ; malgré la haine, j’entends qui vous vise. Ceux qui n’arrivent pas à aimer leurs ennemis sont ceux qui attendent un mouvement d’amitié ou de compassion. L’amour dont je parle ici est tout voulu ; il va droit à la raison enchaînée ; et les signes ne manquent jamais. C’est pourquoi cette espérance est ferme et décidée plus que l’autre, quoiqu’elle reçoive moins de récompenses. Son nom est Charité, et la sagesse théologique l’a mise avec la Foi et l’Espérance, au nombre des vertus, ce qui avertit assez que la bonne volonté y doit suffire, et que l’humeur la plus favorable ne les remplace point. Comme ces vertus, trop oubliées par les philosophes, ne déterminent aucun genre d’action, mais les éclairent toutes, c’est pour cela que je les mets ici comme trois lampes à porter devant soi, pour tous chemins.