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Page:Alain - Quatre-vingt-un chapitres sur l'esprit et les passions, 1921.djvu/263

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DU MARIAGE

J’appuierais seulement sur les contraintes de politesse, si imprudemment méconnues par les jeunes amants. Quand on vit en naïveté avec les passions, et qu’on est en état d’éprouver, par un si étroit voisinage, les moindres mouvements d’humeur de celui dont on attend tout son bien, le premier mouvement est souvent funeste. J’ai observé que, même dans les bons ménages, et quand l’amitié a confirmé l’amour, les moindres disputes arrivent aisément au ton de la violence. Il est vrai aussi que l’amour pardonne beaucoup ; mais il ne faut pas s’y fier, car il n’est pas moins vrai que l’amour interprète beaucoup et devine trop. À quoi peut remédier une vie de famille assez patriarcale, et surtout la présence des enfants, qui, dès leur plus jeune âge, modèrent naturellement autour d’eux l’éclat des voix et la vivacité des mouvements, terminant bientôt les disputes par des cris sans mesure qui donnent une juste leçon. D’où est venu le proverbe que Dieu bénit les nombreuses familles.