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Page:Alain - Quatre-vingt-un chapitres sur l'esprit et les passions, 1921.djvu/267

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de l’architecture

CHAPITRE V

DE L’ARCHITECTURE


Chacun sait bien qu’il y a des sièges où l’on est impatient et déjà debout, d’autres où l’on est paresseux, d’autres pour le calme et le travail ; et nos habitudes dépendent plus des choses que de nous, car c’est le manche de l’outil qui dispose le bras. Il faut compter aussi avec la pensée, toujours réglée sur des objets, à ce point que le mathématicien ne peut rien sans équations. Et dire que les objets nous suggèrent nos pensées, c’est trop peu dire, car nos objets sont nos pensées. Mais les objets de main d’homme, surtout, tirent souvent notre pensée du chaos, par l’ordre, la symétrie, la ressemblance variée et la répétition ; ainsi la pensée est ramenée à sa fonction propre, qui est de reconnaître et de compter. L’artiste nous dessine une autre nature, où la puissance de l’homme est clairement figurée. Aussi je ne dirais point qu’une cathédrale veut nous parler de Dieu. J’y vois plutôt un effort contre les dieux païens, toujours présents dans la forêt, mais exorcisés par la géométrie ; en sorte que le mouvement dans le lieu saint est plutôt pour chercher le dieu que pour le craindre ; mais encore la rêverie est-elle toujours ramenée à la terre des hommes, et à l’ordre humain de toute façon. Il est signifié clairement que Dieu s’est fait Homme. Les peintures ramènent l’esprit dans les mêmes chemins, surtout celles de la Vierge mère, si propre à figurer l’espérance humaine, sans aucun dieu extérieur. L’effet est encore grandi par le contraste de cette sagesse ordonnée avec les monstres extérieurs ; en sorte qu’il n’est pas possible que l’on entre en ce lieu sans éprouver une sécurité et une