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Page:Alain - Quatre-vingt-un chapitres sur l'esprit et les passions, 1921.djvu/45

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DE L’OBJET

les ans. Supposition fort étendue, et fausse sans doute en partie, car il se peut que ce ne soit pas la même hirondelle. Toutefois on y voit à plein comment l’entendement construit ses systèmes et détermine les vrais objets.

Ainsi demander pourquoi avec deux yeux on ne voit qu’un objet, c’est trop peu demander. Il faut demander pourquoi avec deux mains on ne touche qu’un cube, pourquoi l’on dit que l’on touche l’objet même que l’on voit, que l’on entend, que l’on flaire, que l’on goûte ; car ce seraient bien autant d’objets, et très différents, si l’on s’en tenait aux apparences. Par ces remarques se définit, il me semble, peu à peu, cet étrange pouvoir de penser que la plupart des hommes veulent reconnaître seulement dans les discours bien faits que l’on tient aux autres ou à soi-même. On aperçoit déjà que les esprits pensent un monde commun d’après les apparences où chacun se trouve d’abord seul, et où le fou passe toute sa vie.