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Page:Alain - Système des Beaux-Arts.djvu/103

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CHAPITRE VI

DE L’ÉLÉGIAQUE

Il y a une manière de supporter le malheur qui est de marcher au devant, et tel est le mouvement épique. Et l’on a vu, même hors de la guerre, des aventuriers changer ainsi l’assassinat en épopée. Je ne crois pas qu’il y ait de consolation au mal que l’on a fait, dès que le courage ne relève plus l’action ; aucune poésie ne pourrait donc porter le remords. Mais pour les maux extérieurs et pour les crises de passion, on peut donner au souvenir une forme supportable, de façon à l’éloigner de soi assez ; à quoi le temps nous aide ; et les perspectives du souvenir ont par elles-mêmes quelque chose d’esthétique, surtout par cette marche universelle du temps, où nos malheurs trouvent enfin leur juste place. Ce changement de toutes choses est le thème principal de l’élégie. C’est pourquoi les âges, les saisons, les vols des oiseaux migrateurs, les jours, les heures entrent si naturellement dans le poème élégiaque. Mais il faut saisir les nuances entre l’épique, l’élégiaque et le contemplatif. Le poète se jette dans l’épique comme ont fait ses héros ; il se laisse porter, il s’oublie. Mais l’autre poète reste au bord de l’élégie ; s’il y tombait, il s’y trouverait seul, sans secours, et misérable ; aussi la lamentation n’est point belle ; c’est la conso-