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Page:Alain - Système des Beaux-Arts.djvu/104

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SYSTÈME DES BEAUX-ARTS

lation qui est belle dans le souvenir ; et il est vrai que le cours du temps, et toutes les choses qui le figurent, sont ici nos secours ; ainsi la nature est présente et témoin. Toutefois nos peines y sont l’objet principal, toujours contenues par la mesure et le ton, et entièrement purifiées du rauque accent personnel ; au lieu que dans le contemplatif, le poète se tient au-dessus de toute peine par la considération de l’ordre des choses. Il y a donc trois moments ou trois âges ; l’épique est jeune ou rajeunit ; l’élégie est convenable à l’âge mûr ou mûrissant ; le contemplatif est une vieillesse au moins d’un moment, mais forte ; c’est l’épopée du sage.

L’élégiaque est moins étendu que l’épique ; ce n’est plus cette course à la mort ; le mouvement en est retenu et prudent ; mais il ne se prête pas aux silences, car les peines reviendraient en désordre ; il faut donc que le rythme nous appelle, et d’autant plus impérieusement que les images nous touchent de plus près. Il y aurait donc trois parties dans une élégie bien faite. Le commencement serait destiné à assurer le rythme, et à nous le rendre familier ; ensuite le souvenir se montrerait, en traits brefs et sobres, sans aucune licence à l’égard de la loi ; en ce difficile passage se fixent les sentiments humains supportables ; et il est très vrai qu’on y apprend à être triste, car il est assez clair que l’enfant ne sait que crier comme un fou. Quant à la terminaison, elle touche au contemplatif toujours ; les choses y reviennent.

Un vrai poète règle toujours son rythme sur le sentiment, mais non pas, comme on le dit quelquefois, de façon que le rythme cède ou se déforme ; tout au contraire la forme poétique résiste sans cesse au mouvement animal ; ainsi l’émotion et le rythme s’affirment en même temps et grandissent ensemble, l’esprit dominant toujours, comme un bon navire sur la vague. C’est pourquoi le relâchement, les licences, les redites et enfin toutes les négligences d’écriture, sont moins permises que jamais au moment où les peines