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Page:Alain - Système des Beaux-Arts.djvu/118

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CHAPITRE XI

DE L’ART DE PERSUADER

La persuasion par l’effet des passions de l’orateur n’est pas si commune que l’on croit, et surtout elle n’est pas durable si l’action ne suit point, car l’auditeur revient vite au calme ; et, quand il le voudrait, il ne retrouve point aisément l’état d’inspiration où il a été jeté par une belle comédie oratoire. Il faut répéter ici que les passions ne sont point durables, mais retombent aux simples émotions, si quelque jugement de belle apparence ne conduit pas à les cultiver. Par exemple la passion politique se réduirait à des mouvements d’humeur sans mesure, informes, et assez ridicules ; la fonction principale de l’éloquence est d’élever ces passions jusqu’à une espèce de pensée, et enfin de leur donner formule et vêtement. Voilà pourquoi l’auditeur cherche l’orateur ; il cherche dans un discours ses propres préjugés et ses propres invectives, mais composés selon une apparence de raison. C’est par là que l’éloquence est un art ; car autant qu’elle instruit et éclaire, elle est science.

Il est donc vrai de dire que l’éloquence éveille et fortifie les passions et persuade par là ; mais il faut l’entendre bien. La persuasion est un passage de la passion informe à l’opinion passionnée ; et il s’en