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SYSTÈME DES BEAUX-ARTS

tente, non point du tout par l’effort passionné, si aisément ridicule, mais tout au contraire par une sécurité mimée et par une sorte de renoncement qui le renvoie au rang de l’arbitre et lui donne déjà le ton de la sentence. La présence du juge, qui cherche une sentence bien faite, le respect qui lui est dû, le bon ordre de l’audience, et l’intérêt aussi du client, sans compter les toges, tout l’y porte ; mais il y faut aussi ce mouvement artiste qui donne corps et solidité aux folies de la passion disputeuse. Ce mouvement produit plus d’effet dans les pays animés par le soleil, où les causes sont discutées cent fois dans les lieux publics avant d’arriver au prétoire. On comprend que ces improvisations sans ordre, où un argument fait oublier l’autre, sans que personne puisse jamais saisir et surtout contempler sa propre pensée, donnent un furieux désir de faire silence et d’écouter. L’orateur s’avance alors comme un dompteur de monstres, et ces monstres sont nos pensées. Mais le plaideur est encore plus douloureusement mordu par ses informes pensées. Aussi dans la passion du plaideur il entre ce besoin de voir une fois sa cause avec toute l’apparence de la justice ; et c’est beaucoup pour ce spectacle qu’il paie l’acteur.

À partir de l’éloquence plaideuse, l’épique et l’élégiaque s’élèvent aisément, car elles considèrent des événements passés et irréparables. Mais la première console et soulève par l’action ; la seconde console et allège par un ton soutenu et des mouvements réglés qui donnent comme le modèle du chagrin décent. Pour la contemplative ou religieuse, elle se distingue de l’élégiaque en ce que l’esprit s’y tire de ses peines et misères par la considération d’un ordre majestueux. Autant que cette idée est fondée en raison, cette éloquence est science ; elle est un art autant qu’elle joint à ses fortes leçons l’exemple du ton, de l’attitude et du geste. Il faut convenir qu’un sermon bien composé, et dans le recueillement exigé par la cérémonie, apporte par lui-même une solution ; et le raisonnement sert surtout à montrer qu’un homme peut