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Page:Alain - Système des Beaux-Arts.djvu/141

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DES L’HARMONIE

d’église. Les plus grands musiciens parmi les modernes retrouvent quelque chose de cette liberté, mais toujours en modulant. Les plus rares beautés de la musique instrumentale viennent peut-être de ce retour du chant libre qui lutte contre les formules et finalement les soumet ; là est le centre de l’harmonie ; à la considérer autrement, on se perd dans les procédés. Le chant naïf n’exigeait, outre les dispositions d’oreille et de gosier, que l’application, le sérieux et la pureté. Aujourd’hui la riche musique moderne offre trop d’objets à l’intelligence, trop de combinaisons, trop de suites et jusqu’à des hardiesses quasi calculées ; le raisonnement y périt ; il y faut du jugement, pour vaincre ce mécanisme trop fort, et ordonner enfin l’harmonie selon la musique. Et tout de suite prendre parti, repousser ce mécanisme au niveau des instruments. Cette liberté n’est point transcendante, mais, au contraire, immanente ; et il faut admirer comment l’invention du ton et du mode sauvèrent la musique instrumentale, lorsque le chant fut détrôné. Si les accords ne proposaient qu’un jeu de plaisirs et d’attentes, la volonté n’aurait rien à vaincre, et la musique descendrait au niveau du divertissement. Heureusement, par la physique des sons, on retrouve une pente de nature, qu’il faut remonter. La modulation qui va d’ut à fa est appelée par la résonance naturelle des sons composés ; on devrait l’appeler descendante. Au contraire la modulation qui va d’ut à sol domine cette force de nature. Un rapport du même genre est plus sensible, quoique moins facile à expliquer, entre le Majeur et le Mineur, si bien nommés. Si donc on parcourt le cercle entier des tons majeurs et mineurs, en supposant seulement que le ton d’ut est le plus naturel, on tracera un chemin montant et descendant qui marque bien, par modulations, les chutes et les reprises de l’âme en travail. Chaque ton, et surtout les voisins de l’ut, aura ainsi son caractère, le Sol simple et libre, le Ré volontaire et ferme, le Mi dionysiaque, et ainsi des autres, chaque ton mineur marquant un certain abandon à son