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Page:Alain - Système des Beaux-Arts.djvu/156

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SYSTÈME DES BEAUX-ARTS

enfin la musique serait plutôt dévoratrice d’objets, et bon tyran. Mais en revanche elle dessine jusqu’au détail les moindres mouvements de l’âme ; aussi arrivera-t-il que ces souvenirs étranges et presque impossibles à nommer que la musique nous apporté, sont bien émouvants et par cela fortement reconnus ; on irait jusqu’à dire que la musique nous fait reconnaître ce que nous n’avons jamais connu. Aussi, quand la musique a passé, la rêverie a souvent des mouvements vifs et des surprises ; c’est ainsi qu’un simple titre prend puissance de poème ; mais toujours sans paroles et même sans objet, car l’esprit est ensuite comme soulagé et vide ; neuf et plein de foi. Cette disposition est proprement épique ; aussi démêlons bien. Ces pages ne conviennent pas à un lecteur pressé ; au reste on n’écrit que pour soi, comme le peintre peint pour soi et ainsi des autres ; et c’est le seul moyen connu de se rencontrer avec d’autres.

Il me semble donc que le chemin de la musique conduit toujours de la rêverie à l’action ou, si l’on veut, de la tristesse à la foi ; je dis la foi et non l’espérance ; car l’espérance cherche des secours hors d’elle, au lieu que la foi se jette dans l’aventure forte d’elle seule, et déliée de toutes les craintes ; et il semble que la musique purifie mieux que la poésie, ramenant toujours le mouvement des passions au mouvement qui les guérit ; la musique est donc expression pure, si l’expression annonce toujours que l’esprit s’est encore une fois sauvé. Que l’on essaie de penser à ce que serait la vie intérieure en chacun s’il s’abandonnait, s’il ne se reprenait. Dans la conscience que nous prenons de nous-mêmes, nous sommes soumis à cette condition, que nous recomposions notre être par un acte de gouvernement. Toute conscience est réveil ; et le paradoxe ici est que le sentiment suppose connaissance. Qui éprouve sans se reprendre n’éprouve même pas. La pure terreur ne se connaît pas elle-même, ni l’entier désespoir. Enfin l’inexprimable n’est point senti. Les cris et les convulsions n’expriment rien qu’eux-mêmes, et l’horreur est jus-