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Page:Alain - Système des Beaux-Arts.djvu/157

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DE L’EXPRESSION MUSICALE

tement le sentiment qui accompagne la contemplation de ces signes, signes qui ne signifient pas. Mais c’est dans le moment où la forme humaine reparaît que l’expression naît ; et la musique est la forme humaine la plus pure peut-être, la- plus fragile et la plus forte, la plus aisément déformable ; celle aussi qui prouve le plus quand elle se referme et se termine sans fléchissement. Seulement il ne faut point dire que la musique exprime jamais quelque sentiment d’abord éprouvé ; mais au contraire par sa qualité de signe continuellement gouverné, la musique fait paraître un genre de sentiment qui ne serait point sans elle, qui n’a point d’autre objet qu’elle, et qui par cela même nous invite à exister seulement selon nous. Le propre de la musique, en ses plus beaux moments, serait donc de ne rien signifier, c’est-à-dire de se séparer absolument de tous les autres langages. Mais aussi il ne faut point que le hasard entre dans la musique ; il faut au contraire qu’elle se développe selon ce qu’elle promet ; aussi toutes les surprises sont d’un moment, et aussitôt expliquées et rattachées. Par cette puissance la musique exprime ce qu’aucun autre langage ne peut exprimer, l’histoire d’une vie humaine pour elle-même, dans le cours du temps ; non point telle qu’elle est ou fut ou sera, car cela n’a point de sens, cela échappe et périt ; mais plutôt l’épopée de la chose. Plus simplement disons qu’il y a toujours de la volonté dans l’expression ; volonté de montrer, volonté de cacher, volonté d’être. Enfin exprimer c’est modeler.