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SYSTÈME DES BEAUX-ARTS

comique ici comme partout décide, et ne ruse jamais.

L’art de la mimique avertirait mieux si la clef de son langage n’était à peu près perdue. Il en reste pourtant assez, dans la tradition des mimes, pour faire voir que l’imitation des gestes instinctifs n’y est pas le tout. Il s’y joint des gestes de style, j’entends décidés, d’une seule venue, et propres aussi, par leurs inflexions, à suivre le mouvement des passions, mais en obéissant toujours à la loi propre du signe ; et l’on verra aisément, si l’on rencontre par hasard quelque mime qui sache son métier, que ces mouvements sont tous de gymnastique et sans contracture, comme ceux de la danse, à laquelle la mimique est si naturellement liée. Je n’en conclus pas que la mimique ainsi purifiée ne puisse exprimer avec force ; bien au contraire, la vraie force ici, j’ose dire, comme dans l’escrime, vient de souplesse et vitesse ; ainsi l’expression forte touche sans étonner ; au lieu que les gestes de nature, quand ils sont vifs, rendent stupides par la surprise. Faites attention à ceci que les mouvements passionnés d’un homme qu’on n’entend pas ressemblent aux mouvements d’un fou ; et, ce qui frappe chez le fou, c’est cette naturelle mimique, qui n’est plus mimique, sans forme et tout à fait sans style ; mais disons que les mouvements de nature tiennent tous un peu de la folie, surtout pour le spectateur. Enfin je vois dans la mimique, autant que j’en puis juger, de la politesse, de la précaution, et une méthode pour composer les passions.

Le théâtre tragique est moins aisé à comprendre, peut-être parce que l’intérêt se transporte aisément à l’aventure elle-même, émouvante toujours et souvent illustre. Toutefois il est bien clair que les conventions de lieu, de rencontres réglées, comme de monologues et de confidents, ne sont point du tout des licences, mais appartiennent au contraire à la forme théâtrale. Le génie théâtral les impose ; mais l’homme habile voudrait économiser là-dessus ; c’est comme si l’on voulait prétendre que les mots expriment moins que les cris. Au contraire les cris n’expriment rien ; et