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Page:Alain - Système des Beaux-Arts.djvu/189

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LA VÉRITÉ DES PASSIONS

présente, par rapport à cette vérité enchaînée, le moment de la réflexion et de la critique ; la liberté y triomphe de tout par le rire, et la fatalité tombe au ridicule du mécanisme à prétention. Cette vérité touche, secoue, délivre, mais sans montrer ses replis ; par l’effet seulement ; ainsi une vérité plus profonde y est encore cachée, qui est que la passion tragique a besoin de notre consentement. C’est pourquoi le mouvement de la réflexion, si rare en ce monde emporté, et toujours tardif et stérile comme ces messagers qui arrivent trop tard, s’est développé au contraire selon la sagesse dans ce grand édifice du théâtre et par la perfection même de l’art tragique ; car il ne s’agissait que de laisser courir la fatalité seule, en la marquant de son vrai nom. Ainsi la comédie est la réflexion et comme l’éthique de la tragédie.

Par ces remarques on peut comprendre que la vérité copiée, de gestes et de paroles, est encore bien au-dessous de la vérité naturelle. On pourrait dire que c’est une apparence de l’apparence. Car un drame réel, tel qu’on peut le connaître par une porte entr’ouverte, ou par une fenêtre, ou par des cris et des rumeurs, n’est rien du tout encore ; et ceux mêmes qui y sont n’en sauraient rien dire. C’est pourquoi l’art tragique ajoute déjà et retranche, dessinant les actions et les ramenant à des gestes clairs, dessinant et achevant les discours, enfin mettant dans ce désordre une espèce d’ordre, par les pressentiments et par les désespoirs déclarés, sous l’idée fataliste. Ainsi un vrai drame au théâtre n’est point du tout une copie de la chose, mais une théorie de la chose plutôt, dans tous les sens de ce beau mot, étroitement parent du mot théâtre, comme on peut voir. Mais il faut une histoire illustre, et la force du génie théâtral et poétique, pour faire accepter cette grave procession de malheurs et ces gémissements en psalmodie.

Le génie comique est encore plus loin de ce que les imprudents veulent appeler le réel et la vie, oubliant que le réel humain est voulu, et que la vie n’est jamais une chose faite. Aussi n’est-il point vrai que la comé-