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Page:Alain - Système des Beaux-Arts.djvu/212

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SYSTÈME DES BEAUX-ARTS

comme un enfant, sans art, presque sans matière, et si visibles. La nature ne fait pas de croix ; ces angles égaux sont le signe de l’homme. Ce signe porte de belles légendes, mais il est directement vénérable. C’est le signe tout nu, où la volonté éclate ; c’est le signe qui n’annonce rien que lui-même ; aussi rappelle-t-il l’homme à l’homme. Toutes les grandes idées se terminent là, et l’image du juste crucifié n’y ajoute rien ; le signe parle plus haut. Dans la solitude, mieux ; rustique, mieux. Parmi tant de supplices, celui-là a vaincu par le signe.

On aperçoit en quel sens il y a un langage naturel des monuments. Comment la convention et l’abstraction s’y sont mises, c’est ce qui peut être compris par les hiéroglyphes ; et il y a des hiéroglyphes partout, et plus qu’on ne croit. Un serpent, une chimère, un dragon, Pégase, sont des caractères qui nous sont familiers, mais qui étonneront sans doute les archéologues dans deux ou trois mille ans. De ce langage sont nées la sculpture et la peinture, d’abord étroitement liées à l’édifice, et certainement errantes et affaiblies depuis qu’elles en sont détachées. Mais considérons-les ici comme signes seulement. Le propre de ce langage est de se ramasser tout en une seule chose, au lieu de se développer comme l’autre en une suite de caractères. Aussi un seul regard y saisit le tout, enveloppé et comme fermé, mais que l’on possède pourtant en un sens. Ce genre de lecture est bon ; c’est peut-être le seul qui développe le penseur, au lieu de développer seulement les idées ; il y faut du temps, mais seulement pour l’inventaire d’une richesse qu’on a d’abord toute. Et la beauté propre à ces signes est toujours qu’ils n’annoncent rien qu’eux-mêmes. Les allégories sont un peu bavardes et aisément laides ; mais on dirait que les belles œuvres ont d’abord pour règle de ramener l’imagination à elles, de la limiter à leurs contours, de la fixer et enfin de la lasser et endormir par une perception souveraine. Le Bacchus assis, de la Sixtine, n’exprime rien tant qu’on l’interroge ; mais si on le regarde