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Page:Alain - Système des Beaux-Arts.djvu/215

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DES ORNEMENTS

copier tout le détail des choses, et ont engagé la peinture et le dessin dans des chemins arides, mais qui les ont conduits aussi bien au delà de l’imagerie. Pour parler seulement de l’ornement, il est visible que le style y consiste principalement dans ces formes simplifiées, dans ces reliefs aplatis, dans cette soumission enfin à la condition de résister et de durer ; au reste le temps simplifie encore, et fait disparaître les erreurs du goût, en sorte qu’ici progrès vient d’usure et vieillissement. Dès qu’il échappe à ces difficultés, l’art ornemental se perd dans les formes confuses, et tombe enfin dans ce ridicule de vouloir rivaliser avec les choses mêmes. « Quelle vanité, dit Pascal, que la peinture, qui attire l’admiration par la ressemblance des choses dont on n’admire point les originaux ! » Les grands peintres répondent assez bien ; mais il y a peu de grands peintres.

D’après la deuxième règle, l’ornement ne doit jamais dissimuler la jointure des pierres ; et ici encore le temps se charge d’effacer les mensonges que le sculpteur se permettrait. Par la même raison l’art des vitraux ne doit point dissimuler l’armature de plomb, et du reste il ne le peut point. Ces arts qui ne peuvent ruser sont la vraie école du sculpteur et du peintre, comme aussi l’art de décorer les poteries, qui dispose de si peu de moyens. Au reste le propre de l’ornement est d’obéir d’abord à la forme de ce qu’il orne. On aperçoit ici une analogie remarquable entre les arts d’ornement et les œuvres du langage écrit. L’élégance dans la phrase, toujours laide, consiste toujours à vouloir cacher, si l’on peut dire, la jointure des pierres, et à déformer les mots pour décrire les choses ; à ce signe vous reconnaîtrez les œuvres périssables. Car les mots du langage commun, et les liaisons de syntaxe, sont ici comme les pierres dures et le ciment. Revenons donc sur cette idée que tout ornement libre est laid. C’est la raison pour laquelle les costumes ont presque toujours plus de style que les autres objets ornés, et pourquoi une broderie en couleurs plaît plus aisément qu’une peinture qui n’est